Pour ce portrait du 15 octobre 2018 nous ne pouvions faire autrement que de vous rappeler ceux de notre Justin, décédé ce mardi 9 octobre à l’âge de 94 ans, parus fin mars et début avril 2014. A lire, à déguster, pour bien s’imprégner de qui il était !

Par • 15 Oct, 2018 • Catégorie: Le portrait de la semaine

Portrait du 31 Mars 2014 : Justin Laban

 

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Pour ce 21ème portrait, nous allons vous présenter une Institution, le plus vieux Monsieur de St Jo, et quel Monsieur : Notre Abbé Justin Laban. Il a accepté de se plonger dans ses souvenirs et de nous faire partager tous ses trésors d’histoire et de vie… Un pur bonheur à écouter, à écrire, et je l’espère, pour vous de le lire !

Et comme vous vous en doutez, cette interview, comparée au vécu d’un élève de 12 ans, est forcément beaucoup beaucoup plus longue… Vous aurez donc droit, à une suite le lundi 6 Avril 2014…

Céline Ruiz : Mon père, question très indiscrète pour commencer, vous avez quel âge ?

Justin Laban : Je vais bientôt finir mes 90 ans.

C.R : Vous êtes arrivés à St Jo en quelle année ?

J.L : Je suis là depuis 1937, mais quand je suis venu, c’était un collège tout à fait différent. A l’époque il y avait comme professeurs 18 prêtres, il n’y avait pas de professeur laïque. J’ai vu surtout les changements de paysage. C’était le collège St Joseph qui depuis 1907 recevait aussi les élèves du séminaire de Bayonne. Parmi ceux qui étaient élèves à ce moment-là, il y en avait qui étaient là pour préparer le bac, et d’autres qui étaient là pour passer le bac mais pour se préparer aussi à aller au grand séminaire, ce qui fût mon cas (le séminaire étant  l’endroit où on se prépare pour être prêtre).

C.R : Dans les années 30, je crois qu’il n’y avait pas encore de cours d’agriculture ?

J.L : Et non, ça fait juste 60 ans cette année, ça n’a donc commencé qu’en 1954. En 1954, il n’y  avait que 7 ou 8 élèves. Ils se sont déjà réunis, et vont se réunir de nouveau cette année pour fêter les 60 ans. Parce que jusque-là, c’était simplement de l’enseignement secondaire dépendant du ministère de l’éducation nationale. Mais par contre, les abbés Dupont qui avaient fondé la maison, s’intéressaient beaucoup à l’agriculture, et c’est comme ça qu’après avoir réalisé le collège, construit les bâtiments essentiels du collège en 1887, en 1891, ils construisirent une belle étable, qui fût étable modèle pour la région même. Et du coup, après, ils n’eurent plus d’argent pour construire une chapelle parce qu’ils devaient s’occuper du principal. Par contre, ce qu’ils firent à partir de ce moment-là, parce qu’ils étaient trois frères prêtres, ils réalisèrent la construction de ce qu’on appelle à l’époque l’hospice St Joseph, c’est-à-dire la maison St Joseph qui est devenu actuellement maison de retraite.

C.R : En 1937, vous êtes arrivé en quelle classe ?

J.L : En 6ème. Eh oui, c’était les mêmes classes qu’aujourd’hui.

C.R : Vous avez donc connu l’occupation de St Jo par les allemands ?

J.L : Entre temps ça a été la guerre. Certains professeurs sont partis à la guerre, ont été prisonniers, et sont revenus après, comme l’abbé Caubet par exemple qui est mort à cent ans l’an dernier.

C.R : Pendant la guerre, on a ici des images fortes de St Jo avec le drapeau nazi qui flotte dans le cloître, pouvez-vous nous raconter un peu cette époque ?

J.L : En 1942, le collège a été occupé par l’armée allemande.

C.R : Et vous, vous continuiez à avoir cours ?

J.L : Et oui, tous les élèves n’étaient pas restés, mais nous qui étions en principe destinés ou qui souhaitions devenir prêtre, on nous avait gardé les places pour cela, on continuait à avoir cours, mais il n’y avait qu’une partie de la maison qui était à notre disposition et un certain nombre d’élèves allaient dormir à la maison St Joseph en bas. Et moi-même, avec d’autres, on allait dormir dans des fermes ici au-dessus.

C.R : Pourquoi, parce que les dortoirs étaient réquisitionnés par les allemands ?

J.L : Et oui, et c’est à ce moment-là qu’ils avaient mis le drapeau avec la croix gammée. On les entendait, parce qu’on était dans des bâtiments nouveaux ici qui avaient été faits simplement en 1939 juste avant la guerre. Ce corps de bâtiment était resté à notre disposition, pendant que nous étions là, quand les allemands faisaient des manœuvres dans la cour, quand ils marchaient au pas ou qu’ils criaient, c’était pas facile de suivre les cours et de travailler, mais ça fait rien. On a vécu des choses…

C.R : Est-ce que vous aviez peur ?

J.L : Non, pas vraiment, parce qu’au bout d’un certain temps, on s’était habitué à vivre avec ces allemands. Ils ne nous faisaient pas mal, Ils avaient occupé le préau où ils avaient entassé les obus, les canons étaient stationnés dans la cour de récréation vers la ferme, et puis ils occupaient le reste de la maison, mais non non,  ils n’étaient pas méchants pour nous. D’ailleurs on a gardé une photo, qu’il est possible de voir aussi, où l’un de ces derniers occupants, un jeune allemand qui était tout jeune, à peine 18 ans, peu de temps avant qu’ils partent parce qu’ils avaient été affectés ailleurs, discute avec les professeurs d’ici. Par contre, on vivait à ce moment-là comme tout le monde en France avec une alimentation disons « modérée ».

C.R : Oui, parce que du coup, vous ne mangiez pas la même chose qu’eux ?

J.L : Ah non non, eux faisaient leurs propres plats, mais ils avaient laissé ici une partie de la cuisine à notre disposition. Ce qui fait qu’on mangeait ici dans l’arrière cuisine, bon on était pas très nombreux, mais on mangeait à la dure, comme toutes les autres familles. Attention, on a pas été des héros pour ça !

C.R : Donc cette période, moment fort de votre vie…

J.L : Oui, et puis après quand on a passé le bac à la façon de l’époque. Parce que le bac, c’était sans option, on passait le français, mais aussi le latin, le grec, la langue espagnole… Les études n’étaient pas les mêmes. On faisait beaucoup d’exercices, le temps de cours était relativement limité mais le temps de travail était conséquent. On avait les grandes vacances, mais pour le reste, on avait 2 jours à la Toussaint, 3 jours à Carnaval, 3 ou 4 jours à Noël, 5 ou 6 jours à Pâques, et c’est tout ! Mais on avait chaque semaine des promenades, alors on partait en rang avec les surveillants qui nous accompagnaient, et c’est comme ça qu’on découvrait ici la campagne des environs. Et puis la saison on ramassait des châtaignes, ou bien on cueillait des écrevisses dans le Beez là-bas en bas. Non, on vivait bien !

C.R : Vous avez été ordonné prêtre à quel âge ?

J.L : Avant d’être ordonné prêtre, je suis parti au Grand Séminaire à Bayonne, pour avoir la formation pour être prêtre. Seulement, en 1946-47, comme j’étais dans une classe qui aurait dû être au service militaire mais qui n’a pas été appelée, on nous a dit « bon vous allez faire une année de stage », et on m’a envoyé en stage tout simplement à St Joseph de Nay. Ce qui veut dire qu’en 46-47, j’étais déjà professeur stagiaire ici. Et c’est là que je me suis réconcilié avec la vie et le travail de professeur, parce que jusque-là, je voulais surtout pas être professeur. Mais là je me suis aperçu que lorsqu’on surveille le dortoir, qu’il y a des enfants qui pleurent parce qu’ils ont mal aux dents, que ceci  ou que cela, on finit par comprendre que la vie même d’un surveillant est une occasion d’être proche de ceux qui sont là, de les aider et de les écouter au moins, et quelques fois de répondre à ce qu’ils ont besoin.

 Là, j’y suis resté un an, et le supérieur de l’époque m’a convoqué et m’a dit qu’il aimerait que je fasse des cours d’agriculture. Moi je lui ai répondu « des cours d’agriculture ?? », et oui, il m’a dit, « parce que les jeunes qui viennent ici sont des environs, ils viennent passer le certificat d’études, et ils veulent quelque chose en plus donc vous allez leur enseigner l’agriculture ! ». Moi je lui ai répondu : « Mais je ne l’ai pas étudiée moi ! ». Alors il m’a dit : « Mais votre père est agriculteur ! », j’ai renchéris : « Oui, mais le leur aussi, donc ce que leur père leur a appris, mon père me l’a appris ! ».

Ce qui fait que lorsque j’ai été ordonné prêtre en 1950, tu vois ça emmène loin déjà, pendant les vacances, on m’a dit vous irez à Toulouse à l’école supérieure d’Agriculture de Purpan, comme ça vous vous formerez pour l’Agriculture, il n’y a pas de prêtre formé pour ça, et puis, on vit dans un monde rural, les Abbés Dupont étaient aussi pour le monde rural. C’est comme ça que j’ai été à l’école de Purpan, comme j’avais déjà le bac, je n’y ai fait que deux ans, j’ai passé l’examen final comme tout le monde. J’ai même commencé une thèse qui n’a jamais été finie bien sûr ! C’est pour ça que je n’ai pas le titre d’ingénieur, certains le disent, mais non, je n’ai pas une tête pour ça d’ailleurs.

C.R : Vous aviez présenté une thèse sur quoi, vous vous en rappelez ?

J.L : Oh oui oui, sur l’évolution de la vallée de Pontacq, la vallée de l’Ousse, comparée à celle de la vallée du Gave de Pau. J’avais des photos aériennes, j’ai les documents encore, j’ai gardé les photos parce que c’est intéressant de mesurer cette évolution du monde agricole. Car il faut bien se rendre compte que c’était une période très importante, parce que juste après la guerre, ici on a découvert le maïs hybride à l’américaine, ça a été une occasion de faire beaucoup de progrès. Les rendements ont été multipliés par deux ou trois, voire plus. Et puis on a appris à ne plus simplement utiliser les herbes telles qu’elles poussent, mais à semer des prairies permanentes. C’est pour ça qu’un copain de classe, un certain Xavier Bonnemaison qui était de St Abit, un oncle à J.Pierre Junca, m’avait demandé de faire ici dans la maison, des champs d’expériences. C’était les premières expériences que l’on faisait sur les désherbants chimiques, ce qui était absolument unique. C’est comme ça qu’on a eu la visite de gens de tous les pays d’Amérique du Sud, des russes même ! Vers 1956 ou 57, à cette époque je vivais tout le temps avec la soutane, sauf quand je travaillais dans les champs d’expériences ou je portais alors des habits comme les surplus américains, j’étais costumé en vert et rouge. Ce qui fait que les voisins ils se disaient « c’est que ces gens-là ils sont forts quand même, ils ont réussi à avoir un prisonnier allemand pour leur cultiver les champs ! ». Quand je passais au bord de la route pour aller désherber les champs d’expériences, j’étais costumé pour eux comme un prisonnier allemand !

 C.R : Ces champs d’expériences, ils se trouvaient où ?

J.L : De l’autre côté, en fait là où il y a le parking maintenant. Et quand les russes sont venus, c’était une après-midi, et ça a été une histoire extraordinaire, j’étais habillé en soutane, mon copain arrive, on se parle simplement et en souriant. Les russes nous regardaient, nous regardaient, et juste à ce moment-là arrivaient les élèves en file indienne pour entrer dans la chapelle, parce qu’à cette époque-là il y avait une cérémonie de prière à la chapelle dans l’après-midi, c’était au mois de rosaire, au mois d’octobre, les portes étaient grandes ouvertes, il y avait les cierges allumés qu’on voyait de loin, et il fallait voir la tête de ces russes qui regardaient avec des yeux vers la chapelle allumée et les élèves qui restaient là. Ça devait leur rappeler pleins de choses, parce qu’attention, c’était l’époque du marxisme. Eux avaient été la première équipe d’ingénieurs autorisée à passer ce qu’on appelait « le rideau de fer » ! On va dans les jardins visiter, parce qu’il y avait aussi des expériences là-bas, et sur les côtés, il y avait des orties. Et il y a un de ces ingénieurs qui a voulu en ramasser. L’autre l’arrête et lui dit : « non non, prends pas ça ! ». Il rétorqua « pourquoi ? ». J’ai compris à ce moment-là qu’entre eux ces ingénieurs ne se comprenaient pas, ils ne parlaient pas tous la même langue. L’autre a essayé de lui expliquer, et finalement il lui a dit « urtica urens !», c’est le nom latin de la plante « ortie brulante » ! C’est comme ça que par le latin, deux ingénieurs russes ont pu se comprendre chez nous dans le jardin du collège ! Ah, j’ai vécu des choses…   Il en rigole encore !

Suite le lundi 7 Avril…

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Portrait du 7 Avril 2014 : Justin Laban (2ème partie)

Pour ce 22ème portrait, suite de la longue interview de notre Abbé Justin Laban. Souvenez-vous le portrait du 31 mars nous faisait découvrir ses débuts à St Jo de 1937 aux années 50 (en tant qu’élève pendant la 2ème guerre mondiale, avec un établissement occupé par les allemands ; sa formation de prêtre, ses études ; et ensuite ses premiers pas en tant qu’enseignant d’Agriculture qui exploite et fait découvrir de nouvelles technologies qui vont apporter une grande évolution dans le monde agricole)…

Justin Laban : C’est en 1954 que l’on a vraiment commencé les cours spéciaux sur l’agriculture, et c’est pour cela que cette année, on va célébrer sa soixantième année. Au début, il n’y avait que 7 ou 8 élèves, et puis après on s’est aussi occupé de l’horticulture. A cette époque, on était très mêlé à la vie agricole, on allait beaucoup dans les champs, chez les agriculteurs, on était avec les conseillers agricoles du coin et on participait aux activités de l’ensemble de l’agriculture, on vivait en plein air. Il fallait que les jeunes  soient vraiment au courant de ce qui se passait dans le monde agricole et pas seulement de ce que pouvait dire un professeur aussi savant qu’il soit.

Céline Ruiz : En 1950, il y avait combien d’élèves ici ?

J.L : Environ 180.

C.R : A cette époque, l’établissement était mixte ou pas encore ?

J.L : Oh non ! Que des garçons ! La première fille, qui habitait à Assat est arrivée 4 ou 5 années après. Elle venait pour l’horticulture. Puis après une autre d’Arros pour l’agriculture. Mais ou sinon, les filles sont arrivées longtemps après. Il n’y avait que des garçons.

C.R : Dans les années 60-70, est-ce qu’il y a d’autres passages, des bouleversements, ou des étapes importantes qui ont marqué votre vie à St Jo ?

J.L : En 1972, il y avait un économe, l’abbé Lartiguet, qui était également curé à Asson, qui a fait une révolution à l’époque. Tous les greniers qui ne servaient à rien, il les a convertis en chambre pour loger les élèves, et c’est grâce à ça que le collège par la suite a été mieux coté parce que les élèves pouvaient être à deux ou à quatre par chambre. Et même, quelques temps après, les grands dortoirs où il y avait 80 élèves, on les a coupés en deux ou trois de façon à ce que les élèves ne soient plus perdus dans une foule, et qu’ils puissent communiquer entre eux. C’est aussi à ce moment-là qu’a été construit le bâtiment qui abrite aujourd’hui les classes collège et un appartement où j’ai la chance de vivre actuellement avec une vue imprenable sur le Gabizos.

 C.R : Donc dans les années 70, la mixité du collège se fait progressivement, avec des filles qui viennent surtout pour l’horticulture, mais cette séparation entre le général et l’agricole, elle a eu lieu quand ?

J.L : Ah mais attention, il y avait des gens ici qui le prenaient pour une séparation, mais en réalité c’était une section agricole. Pour réaliser cela et surtout pour faire passer des diplômes, il fallait des gens diplômés comme formateur, et j’étais le seul. C’est moi qui faisais, qui signais tous les papiers administratifs parce qu’on dépendait du ministère de l’Agriculture et non du ministère de l’Education Nationale, mais on vivait quand même dans la même maison. Il y avait le collège St Joseph avec un directeur qui dépendait du Ministère de l’Education Nationale et Les Mouliérats, la partie agricole, dont j’avais la responsabilité. Il y avait donc des élèves inscrits dans les classes agricoles et d’autres dans les classes d’enseignement général. La section agricole où il y avait au départ 7 ou 8 élèves s’est agrandie jusqu’à presque 100 et même d’avantage. Ce qui attirait, c’était surtout par le fait que l’on vivait beaucoup en pleine nature. Certains de nos anciens élèves sont devenus après des responsables agricoles ou des maires communaux. On les formait beaucoup à la responsabilité.

C.R : Un autre moment fort vécu ici ?

J.L : Y’en a trop. Y’aurait pas de quoi en faire un livre, mais des quantités de livres ! Sauf que jusque-là, je n’ai écrit aucun livre, et je n’en écrirai jamais aucun. Par contre, j’ai participé à l’écriture de beaucoup de revues. Tu sais, avec les autres enseignants on se retrouvait souvent, on avait une vie très fraternelle. On se réunissait toutes les semaines, on faisait des repas bien comme il faut. C’est à ce moment-là que l’organisation nationale de l’enseignement catholique agricole nous a annoncé qu’au lieu de prendre d’avantage de secrétaires à Paris, ils voulaient demander à des gens qui sont sur le terrain de porter des nouvelles de ce qui se passe, et de rapporter des nouvelles de la capitale à leur région ». Donc, il y a eu une époque où j’allais à Paris toutes les semaines ou tous les quinze jours. C’était très pratique pour moi, il y avait le train, il y avait la palombe bleue. Je prenais le train le soir à 22h00, j’arrivais à Paris le matin, on faisait une journée d’études, et le soir je prenais le train de retour et rentrer ici le lendemain matin à pieds de la gare avec un plaisir comme il faut.

Etant un responsable (nous étions 9 responsables en France) j’avais comme responsabilité tous les établissements d’Aquitaine et de Poitou-Charentes, ce qui fait que j’allais de Mauléon des Pyrénées Atlantiques à Mauléon près de Nantes. Je circulais beaucoup, et il fallait beaucoup de patience et de générosité aux professeurs de l’époque pour me remplacer. D’ailleurs, pendant un certain temps, je ne pouvais plus assurer des cours ou très peu. Mais il y avait entre nous une souplesse importante et on s’arrangeait quand même. C’est là que j’ai appris et découvert énormément de choses, et que j’ai vécu avec des quantités de collègues de toute la France. On faisait beaucoup de voyages d’étude avec l’agricole. Pour l’horticulture, on allait en Val de Loire ou en Bretagne. J’ai des souvenirs extraordinaires de ça.

C.R : C’est énorme tout ce que vous racontez !

J.L : J’ai eu la chance aussi avant d’être prêtre de passer les grandes vacances en étant moniteur de colonies de vacances. Aujourd’hui on dirait animateur ! C’est comme ça qu’en 1960 avec l’abbé Vince, on a utilisé les bâtiments de la SNCF (le pont de camps) qui avaient servi aux ouvriers qui construisaient le barrage de Fabrèges.

C.R : Pont de Camps appartenait à la SNCF ?  La SNCF a participé à la construction du barrage ?!

 J.L : Et oui, ce n’est pas EDF qui a voulu la construction du barrage mais bien la SNCF qui a fait le barrage et ainsi a amené l’électricité. A partir de ce moment-là, on a demandé à recevoir des jeunes dans leurs bâtiments. Ils nous l’on accordés puisqu’il n’y avait plus d’ouvrier, et puis on leur a demandé si on ne pouvait pas les acheter, chose qu’on a faite pour pas grand-chose. (Le « on » est une association, dont Justin et d’autres abbés faisaient partis, qui est toujours aujourd’hui propriétaire des lieux).  Et du coup, on a commencé à aménager la vie des jeunes là-bas : l’été pour commencer, et dès 1967, il y a eu des stages d’hiver. On y allait avec les élèves. Il y avait de la neige, et pleins de merveilleux souvenirs là encore.

C.R : Vous donniez des cours là-bas aussi ?

J.L : Non, c’était une semaine d’étude, c’est ce qu’on appellerait aujourd’hui la connaissance du milieu. Mais en fait, c’était une détente, une ouverture, on apprenait pleins de choses. Il n’y avait pas beaucoup de ski à l’époque. On vivait l’hiver dans la neige. Pendant 25 ans et plus, j’étais responsable des groupes. L’été, on recevait des groupes de jeunes, des familles, et en dehors de l’été comme aux vacances de Pâques ou à Noël, on organisait des stages de formations pour les jeunes animateurs. Ce qui fait que moi j’avais la chance, quand je n’avais plus de travail ici, d’aller me détendre dans une ambiance de vacances. C’est aussi ce qui m’a donné une activité sportive très importante. Il ne fallait pas regarder si on était fatigué. La résistance physique qu’il me reste par la grâce de Dieu, je crois qu’elle a été fortement cultivée comme ça. Ca m’a aussi donné  l’occasion de voir des gens de tous les âges et de participer à leur joie de découvrir la montagne. J’ai conduit des groupes en haut du pic du midi d’Ossau plus de 40 fois, et chaque fois, je ne voyais pas le pic, je ne voyais pas le rocher, mais je savourais la manière dont je vivais la montée avec le groupe. Je me souviens aussi beaucoup de ma vie avec les bergers. J’ai vécu une vie qui n’était pas enfermée dans le collège ici, mais une vie en plein air avec les autres. C’est à cause de ça que j’ai besoin de vivre avec des activités qui touchent l’agriculture.

C.R : Vous avez pris votre retraite en tant que professeur à quel âge ?

J.L : C’était à un peu plus de 60 ans, et puis la retraite de directeur, j’avais 65 ans passé. Je suis un vieux retraité maintenant, ça fait longtemps !

Ah oui, et alors là, l’évêque, pensant que je m’ennuierais m’a dit : « vous allez vous occuper de la paroisse d’Arros et des paroisses voisines ». Et c’est comme ça que j’ai été le curé de ces paroisses-là pendant quelques temps, jusqu’au moment fatidique ou j’ai eu 75 ans. Là, je n’avais plus la possibilité d’avoir des responsabilités ni dans le civile ni dans le religieux. J’ai vécu dans un premier temps sans trop savoir que faire, mais depuis, j’ai découvert quelque chose de merveilleux : je n’ai plus du tout de travail, mais j’ai toujours : des occupations ! Elles sont très variées, et je n’ai plus à m’occuper d’organiser pour les autres. C’est merveilleux, on est dépendant certes, mais c’est beaucoup mieux que d’avoir à être responsable !

C.R : Justement, si je vous demandais de me dire de suite un moment où vous étiez responsable qui vous a marqué, ce serait quoi ?

J.L : Ce serait un moment dont je me souviendrais longtemps, le moment où un huissier est venu ici au secrétariat. On ne pouvait pas payer les impôts de la partie agricole. Les soucis financiers, je savais ce que c’était. Alors je lui ai dit de m’attendre, je suis monté dans mon bureau, on venait juste de recevoir le chèque du ministère de l’Agriculture, parce que si on arrivait à vivre, c’est parce qu’il y avait les subventions du ministère de l’Agriculture. Il fallait aussi payer les professeurs, et il y a eu des périodes où on manquait terriblement d’argent. C’était dur. Tout a changé en 1984, avec la fameuse loi Rocard. Cette loi a été très favorable pour l’Agriculture : grâce à elle, la section dépendante du ministère de l’Agriculture pouvait bénéficier de subventions du Conseil Régional, et ça, ça a été très bon, parce qu’à St Joseph qui dépendait du ministère de l’Education Nationale, ce n’était pas possible. C’est comme ça que c’est l’Agricole qui a pu obtenir des subventions pour rénover totalement le bâtiment où la section agricole a ses classes encore maintenant. On avait été obligé à l’époque d’abandonner ces bâtiments car l’Education Nationale ne pouvait pas faire financer les travaux. C’est à ce moment-là qu’est arrivé celui qui m’a remplacé, et il a pu avoir des subventions pour agrandir les serres. Nous avions construit la première serre en 1972, beaucoup de choses ont été aménagées en 92. Et puis, il y a eu les chevaux. Mon successeur s’est dit : « tiens, on pourrait avoir des chevaux et faire participer les jeunes ». C’est à partir de là d’ailleurs que l’agricole d’abord, mais ensuite St Joseph, s’est terriblement féminisé. Mais pendant ce temps-là, il y a eu une chose qui a été plus ennuyeuse : les gens ne venaient plus au lycée des Mouliérats, ils ne venaient plus pour l’élevage des vaches et des brebis. On voulait garder le nom des Mouliérats, parce que pour tout le monde, les Mouliérats, c’était tout l’ensemble du temps des abbés Dupont, mais on l’a changé. C’est devenu « le Lycée Technologique Agricole Nay Baudreix ». Pour les gens, ça faisait plus riche, privé bien sûr mais plus professionnel, et peut-être moins rattaché à la terre…

 C.R : Donc si on résume, combien d’années en tant que directeur ?

 J.L : Ca c’est difficile, parce que je n’ai jamais été nommé. Au bout de 7 ans, et c’est une histoire qui mérite d’être racontée, celui qui est devenu par la suite le cardinal Etchegaray, avec qui j’étais très ami (on était ensemble au séminaire), m’a convoqué un jour et m’a dit : « il faudrait que tu viennes parce que j’ai à te parler, il faudrait que tu t’occupes d’être aumônier et de réunir de temps en temps les familles du monde agricole. Il y a un mouvement de jeunes qui s’appelle la JAC (la jeunesse agricole chrétienne) et il faudrait un mouvement pour les adultes ». Je lui ai répondu que je ne pouvais pas, mais il m’a dit : « tu es le seul qui a fait des études pour ça, donc tu vas le faire ! ». Moi je lui ai répondu : « mais qui va s’occuper de l’école ? » et là, il m’a dit : « Et toi tiens ! ». Alors je lui ai dit une impertinence : « mais voyons au conseil épiscopal, est-ce qu’il vous arrive d’invoquer le Saint Esprit ? ». Il a fait un saut en arrière et m’a dit : « pour les nominations, non ! Mais pour l’intitulé des nominations, oui ! », parce qu’il venait de s’apercevoir avec terreur que depuis 7 ans que j’exerçais la fonction de directeur, je n’avais jamais été nommé ! A ce moment-là, j’ai été nommé : Justin Laban précédemment Directeur de la section agricole à Nay est nommé en outre Aumônier du mouvement des Chrétiens. C’est ce qui m’a donné la chance d’aller en voyage d’étude en Palestine pendant trois semaines. Et vu qu’on n’avait pas beaucoup d’argent,  il était convenu qu’on était logé et nourri, et en contrepartie, on devait travailler. J’y suis allé trois fois.

 C.R : Et si on parlait maintenant de votre vie actuelle ?

 J.L : Quand je n’ai plus été autorisé à avoir des responsabilités paroissiales, le directeur qui est le même aujourd’hui m’a dit : « toi, on te voit mal dans une maison de retraite, est-ce que tu accepterais de vivre ici ? ». Et voilà comment depuis ce moment-là je bénéficie d’un logement qui était déjà aménagé, et je peux vivre ici une vie qui peut faire envie à tout le monde, parce que je vois du monde de tous les âges, avec des responsabilités différentes. Des enfants, malheureusement y’en a trop maintenant, je n’arrive plus à tous les connaître. Quand j’étais directeur, je connaissais tous les prénoms des élèves comme le fait actuellement le directeur de St Joseph, mais ils me font des sourires et me disent « bonjour ». Et puis j’ai la chance de temps en temps de pouvoir célébrer pour eux la messe, et d’être un peu connu pour les activités d’aumônerie, mais le travail principal dans ce domaine-là n’est pas fait par moi.

 C.R : Vous avez quand même des journées bien chargées. Vous avez 90 ans, mais vous restez très actif, on peut même dire que vous êtes encore un peu professeur, n’est-ce pas mon père ?

 J.L : Et oui, parce que je m’occupe du groupe de béarnais. Pendant un certain temps, j’allais donner des cours les lundis à Arzacq, les mardis et mercredis à Nay, les jeudis à Pau ou à Lembeye et les vendredis à Pontacq, mais maintenant j’ai été obligé de réduire la voiture, donc je ne fais les cours à Nay qu’en remplacement, et les cours à Pontacq. Ca me donne l’occasion de fréquenter beaucoup d’universitaires, parce qu’il y a beaucoup de gens qui se passionnent pour la langue gasconne : les linguistes, les professeurs de la Sorbonne et beaucoup d’autres. Ca m’ouvre l’esprit à beaucoup de choses. Ce qui fait qu’actuellement j’ai beaucoup plus de nouvelles du monde entier sur l’ordinateur par des gens qui me demandent ou qui me donnent des réponses aux questions que je leur porte à partir de la langue gasconne. J’ai été protégé de la tentation de se refermer sur soi. Et ce que trouve beau, c’est quand je vois cette semaine, les élèves qui ont fait une affiche pour « le ptit dej en carême » pour inviter tous ceux qui le peuvent à faire une geste pendant le carême pour porter quelque chose comme un peu de chocolat ou du sucre à ceux qui ont moins. C’est ça qui est merveilleux et qui me donne envie de vivre un peu plus si c’est possible.

 C.R : Et vous continuez de passer à la radio ?

 J.L : Oh oui, on m’entend beaucoup à la radio, seulement on me fait repasser combien de fois. C’est « A la voix du Béarn », il s’agit d’une certaine série d’émissions qui s’appellent «parles biarnes » (parlons béarnais). Je le fais avec une petite cousine pour varier la voix, et puis d’autres qui s’appellent « promenades ou causeries sur le Béarn ». Celles-là je les fais avec des gens d’autres régions. Par exemple, la semaine prochaine, je vais en faire une avec des gens d’Arzacq. Ce qui m’amène à avoir des relations avec ces personnes-là, et encore une fois, l’ordinateur c’est merveilleux parce qu’on a pas besoin de se déplacer ou d’attendre que le facteur soit passé pour préparer ou ensuite tirer des conclusions.

 C.R : Donc vous savez bien vous servir d’un ordinateur !

 J.L : Oui mais attention, je ne m’en sers que comme élément de communication, et ou sinon, je ne regarde qu’une chose, c’est le site de St Jo, et encore depuis pas longtemps. Je vois comme ça ce qu’il s’y passe. Et puis je n’ai pas trop de temps pour regarder la télé, les reportages et le reste.

 C.R : Un mot peut-être pour terminer ce joli retour sur votre longue et passionnante vie ?

 J.L : Quand j’étais ici encore jeune professeur, il y avait un professeur âgé qui me disait « vous savez quand est-ce qu’on peut dire quand on est vieux ? Et bien, c’est quand il faut beaucoup de temps pour faire pas grand-chose ! A ce moment-là, vous savez que vous êtes vieux ! »

 C.R : Et bien vous êtes encore bien jeune alors !

J.L : A condition que la santé reste à peu près !

C.R : J’ai vraiment passé un super moment, j’ai battu tous les records, j’ai même mon portable qui a buggé !

 J.L : Et oui, j’avais beaucoup de choses à dire !

 C.R : Et puis ce n’est pas fini parce qu’on pourrait encore en écrire des choses. En tout cas un grand merci, ça a été un pur bonheur !

 P.S : La photo de cette deuxième partie du portrait de Justin Laban a été prise le jour des portes ouvertes de St Jo le 31 mars dernier. Elle résume tout : un homme heureux de vivre, généreux, proche des gens et toujours présent ! Il est notre mémoire et notre guide, notre soutien et notre force, merci Justin !